Revue protestante de culture
Calvin et les femmes
Calvin et les femmes
Un critique rappelait récemment dans le Times Literary Supplement que saint Augustin a pensé des choses qui sont toujours valables, sur la mémoire, sur le cœur humain, sur le temps, sur l’amour.  C’est le propre des grands auteurs, leurs idées sont inépuisables et restent une référence ou une source d’inspiration pour de nouvelles conceptions. Sans doute en va-t-il de même pour Calvin, considéré depuis le XIXe siècle (après avoir été oblitéré par la culture protestante pendant plus de cent-cinquante ans) comme un « génie religieux », une de ces figures, avec Luther (et Augustin, ou Thomas d’Aquin, ou François d’Assise), qui ont su reformuler et vivre la foi chrétienne de manière décisive pour leur temps et pour la postérité.

 

La question qui se pose alors est celle de la part encore valable de l’œuvre, et de la part qui ne l’est plus. Question d’historien, autant que des fidèles qui osent encore se réclamer d’un héritage.  L’historien rappelle à quelle époque un auteur appartient, avec laquelle il fait corps comme nous aussi nous sommes de notre temps. Formation et traditions reçues, influences acceptées ou rejetées, déterminations sociales et institutionnelles, conception de sa propre vocation, rôles qu’il faut assumer, tout cela limite forcément la pertinence durable de l’œuvre d’un homme d’Église et d’un théologien comme de tout homme d’action ou de pensée, sans a priori l’invalider cependant. Aux générations suivantes de faire le tri, éclairées (mais elles aussi limitées) par l’évolution qu’elles enregistrent. Aux fidèles d’une tradition revient également une tâche, celle d’interroger ces figures fondatrices pour y puiser de quoi renouveler leur propre présent. Méfions-nous des critiques qui soulignent la « modernité » du passé ; le passé n’est jamais moderne (c’est son intérêt, justement, en nous dépaysant il nous libère de l’adhésion étroite à notre présent), même s’il peut encore avoir une actualité.
 
Concernant les idées au sens systématique du terme, celles de Calvin théologien sont d’une vigueur et d’une ampleur qu’on ne cesse de mesurer. L’article de Marc Vial le montre bien, qui propose une interprétation trinitaire de la composition de l’Institution de la religion chrétienne dans sa dernière version. Question décisive aujourd’hui : que signifie la « paternité » de Dieu, que les années de l’après-guerre avaient tant de peine à envisager et que l’humanité actuelle, pour ainsi dire orpheline,  ose à peine je ne dis pas croire, mais même espérer ? Faudrait-il la relier, dans nos sociétés libérées du patriarcat sinon du machisme, à une maternité de Dieu ? Au lecteur de suivre cette piste.

 

Mais aussi Calvin homme de son temps : la question du mariage, de son propre mariage et de ses idées sur le couple humain reflètent ce qu’il y a de relatif en même temps que de bien vivant dans l’existence d’un penseur qui fut aussi un individu réel. Au XVIe siècle, le mariage donnait lieu, dans le meilleur des cas, à des sentiments de tendresse (l’amour au sens fort, sauf exception, passait pour un élément hétérogène à son institution). Justement, Calvin fut homme de tendresse ; ce fut donc le meilleur des cas, et sa pensée sur la question, toute marquée qu’elle est par la distribution la plus traditionnelle des rôles, ne manque cependant pas d’intérêt (article d’Émile M. Braekmann). De même sa délicatesse, confondue avec une stratégie relationnelle, à l’égard d’un personnage de rang élevé comme madame de Falais, née Yolande de Bréderode, dans l’article de Laurence Druez.

 

Le statut de la femme (le regard qu’on/qu’elle pose sur elle) est lui-même seulement un élément dans une structure socio-culturelle complexe et évolutive, qui affecte tous les êtres humains,  la totalité de leur existence comme de leurs relations, celle des « genres », qui ne se confondent pas avec l’identité sexuée biologique. À l’intersection de la pensée morale, philosophique et théologique d’une part, et des déterminations socioculturelles d‘autre part, les « genres » et les rôles qu’ils permettent sont aujourd’hui une question-clef de nos sociétés et de nos existences concrètes, y compris dans nos églises. Il valait donc la peine d’examiner pourquoi et dans quelle mesure Calvin s’est opposé à un ministère féminin de la prédication (article de Christina L. Griffiths). Le réformateur a en effet aperçu, sinon exploité, les limites éventuelles de ses propres positions (traditionnelles), limites dues au fait que le ministère n’est plus considéré, dans la Réforme protestante, comme appartenant à un ordre du sacré (comme reproduction littérale et sacrale du « genre » masculin auquel Dieu en Christ s’est identifié), mais comme une institution sociale et communautaire, à une époque où seuls les hommes pouvaient avoir autorité.

 

Nous invitons donc nos lecteurs à poursuivre l’année Calvin 2009 par ces lectures diverses et suggestives, et qui ne se veulent ni modernisantes, ni hagiographiques ni passéistes.

 

Olivier Millet