Revue protestante de culture
Quels protestantismes au 21e siècle ?
Quels protestantismes au 21e siècle ?
Un demi millénaire, et après ? Il n’était pas écrit que la très grande variété d’Églises issues des ruptures du 16e siècle au sein du christianisme romain constitue aujourd’hui un ensemble qui, de quelque façon qu’on l’appelle, pourrait devenir un jour majoritaire au sein du christianisme tout court. Christianisme qui, rappelons-le, ne s’effondre pas du tout mais devrait continuer à être la religion d’environ trois êtres humains sur dix dans l’avenir prévisible.

 

Car ce mode de christianisme, s’il reste mineur mais stable en France (les apports de l’immigration et de la conversion compensant les pertes de la faible transmission), connaît depuis le 20e siècle une forte expansion au niveau mondial qui l’a fait quelque peu changer de visage. Issu d’Europe, il est aujourd’hui déjà très minoritairement européen (13 % des protestants habitent ce continent contre 37 % l’Afrique subsaharienne, 33 % l’Amérique et 17 % l’Asie-Pacifique) et les traditions jusque là dominantes comme les Églises réformées et presbytériennes, luthériennes, anglicanes et méthodistes, baptistes, ne sont aujourd’hui le plus souvent que de simples cadres institutionnels abritant une multitude de configurations ecclésiales confrontées à une autre multitude d’Églises à l’institutionnalisation plus récente ou plus souple encore mais dont la théologie, lorsqu’on la creuse un peu, est malgré les apparences extrêmement semblable. (...)

 

La simplicité de doctrine issue de la Réforme semble donc à la fois ce qui certes facilite la division (puisque chaque fidèle est pasteur·e en puissance) mais garantit l’unité de l’ensemble. En protestantismes, à l’inverse d’autres christianismes, ce n’est pas la doctrine qui est compliquée mais la pratique qui se décide et se négocie directement et difficilement entre l’individu et Dieu, principalement au moyen de la Bible et de la prière. Toujours en quête de dépannage, ces individus (comme tout automobiliste) ne regarderont pas à la marque affichée sur son garage par le mécanicien mais d’abord à son efficacité, sa disponibilité et son prix. Le but de ce dossier est de voir clients et mécaniciens à l’œuvre en ce début de 21e siècle. 

 

Pour faire une sorte de point sur cet espace difficile à nommer mais qui selon nous existe bel et bien, nous avons fait appel comme pour le premier volet sur la religion en général publié il y a deux ans à l’expertise du sociologue Jean-Paul Willaime. Parti dans les années 1970 des interrogations sur la «précarité protestante» et le devenir d’une religion souffrant «socialement d’un triple déficit: d’institutionnalité, de sacralité, d’universalité», il voit aujourd’hui ce qui pouvait apparaître alors comme des handicaps se transformer en atouts à l’heure de l’ultramodernité, caractérisée par la «crise générale des institutions» et «l’affaiblissement de leur pouvoir de régulation». (...)

 

Passant du point de vue sociologique au point de vue théologique, Fritz Lienhard revient dans un entretien avec Frédéric Rognon sur cette «rupture de système» dont il est témoin dans les Églises luthéro-réformées «des deux côtés du Rhin» et à propos de laquelle il a écrit le livre L’avenir des Églises protestantes. (...) Une réflexion qui aboutit à des pronostics à la fois pessimistes pour «le dispositif tout entier des structures ecclésiales, qui ne survivront pas» et optimistes sur une «Église de demain» qui «sera sans doute plus aplatie» avec «des formes hybrides» (...).

 

Viennent ensuite les études de terrain de deux jeunes sociologues hispaniques (...) qui montrent bien que le protestantisme a changé de milieux. (...) Pour le milieu diasporique africain, Rafael Cazarin part d’une observation de trois Églises de Bilbao, au Pays Basque espagnol (en particulier une Église dirigée par un couple nigérian apôtre-prophétesse), qu’il compare ensuite à trois Églises elles aussi migrantes mais sur le sol africain, à Johannesburg (elles d’origine principalement congolaise). Mais au delà des nationalités d’origine, ce qu’il constate quelle que soit la localisation est une «omniprésente architecture sociale d’Églises au sein d’un réseau pentecôtiste africain diasporique qui permet aux fidèles d’éprouver un sentiment d’appartenance dans des localités géographiquement éloignées». (...) Pour la société gitane, le terrain arpenté par Antonio Montañés Jiménez a été madrilène: principalement 4 assemblées de l’IEF, la grande Église gitane espagnole qui «a remplacé l’Église catholique comme institution religieuse hégémonique» sur le modèle de la Mission évangélique des Tziganes de France (METz). Et, comme point de comparaison, l’Église indépendante Vino Nuevo fondée par un ancien pasteur de l’IEF qui «se définit comme multiculturelle» tout en restant à majorité gitane et bénéfice du soutien d’un «réseau transnational américain». Les deux types d’Église sont finalement deux stratégies différentes d’utilisation du «christianisme charismatique pentecôtiste pour gérer le changement culturel au sein de la population gitane» confrontée à des évolutions radicales depuis la deuxième moitié du 20e siècle. (...)

 

Durant la pandémie, la cène en ligne a été une réaction spontanée dans tout le monde protestant à l’impossibilité de se rassembler physiquement pour ce rituel. Beaucoup l’ont fait... et beaucoup ne l’ont pas fait. Mais la distinction ne suivait pas des critères théologiques ou sociologiques. Soupçonnant là quelque chose de plus anthropologique, j’examine d’abord dans cet article si nous pouvons retrouver dans des textes anciens ce que ressentaient les fidèles pendant ce rituel. (...) J’expose ensuite les premiers résultats d’un questionnaire en ligne sur la cène pendant la pandémie chez les protestants francophones. Qui montrent une nette distinction entre les fidèles qui ont besoin ou pas de la communion mais pas seulement: interprétation théologique, sensations (et quelles sensations), pratique en ligne ... il n’y a pas de consensus sur la cène entre les protestants. À part le fait que désormais tout le monde la prend.

 

Quant aux trois livres récents écrits par des chercheurs francophones sur les pentecôtismes (Émir Mahieddin, Yannick Fer et Gwendoline Malogne-Fer), ils permettent de se rendre compte que si les limites de cette mouvance sont aujourd’hui si difficiles à définir, c’est peut-être qu’elle est devenue paradigmatique de la «nébuleuse» protestante définie par Hubert Bost comme un «espace religieux dont on peut repérer le ou les centres, mais non circonscrire les frontières».

 

(Extrait du liminaire de Jean de Saint Blanquat)