Le protestantisme s'est opposé à la fonction sacrée des images mais pas à l'image en tant que telle. Dans cette rubrique, nous rendrons compte des multiples rapports entre foi et art au fil des expositions, interventions et parutions.

Après tout ce qui a déjà été dit ici sur ce sujet de l’Art et du Protestantisme, il convient peut-être de se demander d’où vient et ce que vaut le préjugé courant, si souvent et sottement répété que le Protestantisme est essentiellement, par principe, et en réalité antipathique à l’Art ?

Constatons d’abord que ce reproche est relativement moderne, on n’en entend parler ni au 16^e ni au 17^e siècle. Il fait partie de cet ensemble d’appréciations contestables destinées à déconsidérer, en France surtout, une minorité, et à justifier au moins indirectement la manière dont cette minorité a été traitée autrefois.

I.

Y a-t-il réellement incompatibilité entre l’Art et le Protestantisme ? En d’autres termes, l’étude de la réalité, des faits permet-elle de la constater ?

On répond ceci : La religion a été, de tous temps, la plus haute inspiratrice de l’Art. Voyez ce qu’elle a produit chez les protestants. Voyez leurs temples, leur culte. Y a-t-il rien de moins artistique que ces édifices affectés à des assemblées religieuses ? Le culte lui-même, là surtout où sont conservés les usages et les formes d’autrefois, n’est-il pas la négation même de l’art ? – Inutile, n’est-ce pas d’entrer dans les détails ? Chacun de nous a entendu sur ce sujet des réflexions plus ou moins frappantes, justes ou pittoresques.

Eh bien ! Il faut avoir le courage de le reconnaître. Souvent ces remarques sont fondées. Mais est-il juste d’en rendre le Protestantisme responsable ? Où les temples et le culte ont-ils revêtu cet aspect, ces allures austères au point d’être dépourvus de grâce, de s’éloigner des formes que l’art inspire ? Quand on cherche dans l’histoire la réponse à cette question, on trouve que la Réforme a été amenée à accentuer à l’excès, dans son culte, tout ce qui pouvait le distinguer du culte catholique, là où elle a été impitoyablement persécutée et parfois presque anéantie, c’est-à-dire principalement en France, dans les Pays-Bas et Écosse. Dans ces mêmes pays les temples n’étaient autrefois – et au milieu de nous, jusque dans ces dernières années – que des constructions essentiellement provisoires, insuffisantes à tous les points de vue, qu’on n’a jamais laissé subsister que pendant peu de temps, des abris bien plutôt que des œuvres d’architecture.

Mais ailleurs, là où la Réforme a pu se développer sans trop d'opposition, là surtout où elle a pu créer librement, sans pression, des organes correspondant à ses besoins, en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis, l'Art n'est nullement étranger ni aux temples, ni au culte. Il va sans dire que nous laissons de côté, comme terme de comparaison, tout ce que le Moyen Âge – époque d'unité religieuse par excellence – nous a laissé.

Je prétends que si, dans ces derniers pays, nous comparons entre elles l'architecture religieuse moderne, catholique et protestante, si nous essayons d'apprécier, au point de vue purement artistique (liturgie, musique, etc.), le culte à Westminster ou à Brompton, il n'y a certes pas lieu de prétendre que ce dernier soit supérieur au premier. Il faut même reconnaître que la musique essentiellement religieuse a été entièrement renouvelée par la Réforme et portée par elle à un degré d'élévation artistique tout à fait éminent. Sur ce point, le catholicisme moderne est véritablement tributaire du Protestantisme, au point qu'on trouverait difficilement une maîtrise qui pourrait se passer des œuvres de Bach, Hændel, Mendelssohn, sans rappeler que Palestrina fut l'élève de Claude Goudimel.

II.

Mais on fait à la question que je discute une autre réponse. On dit : Voyez, partout où la Réforme s’est implantée, elle a commencé par « abattre les images ». Les protestants sont des iconoclastes. – Ici encore, il faut distinguer. Oui, en France et aux Pays-Bas, après quarante années de supplices patiemment supportés, lorsqu’on crut, après 1560, que l’hérésie serait du moins tolérée, il y eut, dans le peuple, une explosion de fureur iconoclaste. Il vengeait, sur ce qu’il appelait des idoles, le sang de tant de martyrs torturés, brûlés, enterrés vivants, parce qu’ils n’avaient voulu croire que ce que la Bible enseignait.

Mais cette fureur iconoclaste ne dura que quelques jours, partout elle fut désavouée et enrayée par tous ceux qui avaient qualité pour parler au nom de la Réforme, c’est-à-dire par les réformateurs, et en général par les ministres. Et il ne faudrait pas faire endosser à ces quelques énergumènes toutes les destructions qui ont été faites beaucoup plus tard. Il est absolument impossible, pour la deuxième moitié du 16^e siècle, en France, de faire la part des protestants et des catholiques dans ces destructions, et il suffit de parcourir les mémoires du temps pour constater que ces derniers ne respectaient pas plus que les premiers les œuvres d'art qui pouvaient gêner leurs opérations. Enfin, il y a une dernière remarque à faire. Ce qui a été détruit au 17^e, sous Louis XIV, où tout ce qui datait du Moyen Âge passait pour barbare. Et, ce que la tyrannie de la mode avait épargné sous Louis XIV et Louis XV, a succombé lors de l'application, beaucoup plus générale et méthodique qu'on ne pense, de la loi de la Convention, du 1^er août 1793, ordonnant de faire disparaître les vestiges de la féodalité.

III.

Si le reproche qu’on nous adresse est contredit par ces faits indiscutables, il ne se justifie pas mieux au point de vue que j’appellerai philosophique. Qu’est-ce que le talent, le génie, dans le domaine de l’art, si ce n’est une conception originale, la manifestation ou l’application de formes nouvelles, littéraires, plastiques ou harmonieuses ?

Or , il suffit de réfléchir un peu à ce que fut la Réforme prise dans son acception la plus large, la plus générale, pour comprendre qu’elle devait favoriser, non la routine, le culte des formes conventionnelles, devenues immuables, mais plutôt l’éclosion, le développement de formes nouvelles et originales.

Il y a plus, la Réforme n’a pas été seulement une protestation contre des traditions séculaires vénérées comme la vérité absolue et éternelle. Elle a été encore et surtout un grand effort de la conscience pour saisir et réaliser dans son sens primitif, en remontant aux sources, la vérité, la vie, le sentiment religieux. Elle a dû, par conséquent, développer chez ceux qui l’embrassèrent et qui avaient le tempérament artistique, le besoin de serrer de plus près la réalité, en brisant le cadre étroit des formes conventionnelles banales, surannées. De là, des œuvres qui frappent par leur originalité, leur sincérité, la profondeur du sentiment exprimé et le caractère nouveau de l’expression. Qui ne songe, quand on se place à ce point de vue, à l’impression saisissante, pleine de fraîcheur, de poésie, en même temps que d’un réalisme de bon aloi, qu’on a éprouvée et qu’on retrouve toujours devant certaines œuvres de Dürer, de Cranach, de Rembrandt, de Goujon, de Richier, devant certaines pages de Palissy, de d’Aubigné, en écoutant le rythme et la mélodie des vers de Marot et des harmonies de Bourgeois et de Goudimel ?

Il faudrait maintenant, pour apprécier dans le détail l’exactitude, surtout de ces dernières remarques, passer en revue les divers domaines de l’art au 16^e et au 17^e siècle et montrer la place qu’y occupèrent les protestants. On verrait qu’en littérature, dans la musique, les arts plastiques et dans les arts industriels, ils furent souvent au premier rang et exercèrent une influence parfois prépondérante. On verrait que chez plusieurs de ces artistes la crise qui les détacha de la tradition religieuse fut aussi celle qui les fit entrer dans des voies nouvelles au point de vue de l'art et qu'il y a quelque chose de l'élan du néophyte dans leurs créations.

Mais la liste de nos artistes huguenots, même de ceux qui, au 17^e siècle, prirent part à la fondation de l'Académie royale de peinture et de sculpture (5 sur 12 membres fondateurs étaient protestants) ou en devinrent membres, – cette liste est si longue que cet article deviendrait une simple nomenclature.

Il suffit, du reste, de parcourir la France protestante où les frères Haag ont recueilli avec soin ce qu'ils savaient sur ce sujet, et notre Bulletin historique, pour s'assurer que, sur ce point comme sur d'autres, nous n'avons pas à rougir de nos origines.

Illustration: détail d'une gravure d'Erhard Schön vers 1530 intitulée Complainte des pauvres idoles et images d'église persécutées (Germanisches Nationalmuseum).

Cela commence au temple d'Angers le samedi 14 avril par un « concert -performance » intitulé « Vibrations » avec musique d'orgue (Gérard Lefèbre) et peinture (Gilles Carré) et où « la musique classique arabe et la calligraphie feront dialoguer les arts et les cultures pour faire surgir, dans le temps de la performance, des créations originales ». Entre le temple et l'église Saint-Joseph, Fraternités insiste sur « la nécessité de déployer, de bricoler, d’inventer ici et maintenant des formes de solidarité fraternelle en actes. La fraternité n’est pas seulement une valeur ou un horizon idéal et abstrait : elle est dans les paroles, les gestes, les regards, les témoignages, les engagements de nos quotidiens, chaque fois que nous nous plaçons aux côtés de nos prochains. » Les artistes participants, une vingtaine de peintres, d’artistes textiles, de photographes et de sculpteurs « portent ce regard et cette attention avec les ressources de leur art et leur expressivité ».

Parmi eux, Danielle Mathieu-Baranoff « orchestre une œuvre textile collective et participative qui agrège les contributions de chacun pour tisser, point par point, pas à pas, des chemins partagés, des rencontres et des émotions », Fabrice Pedrono, avec ses photographies, nous emmène « sur les terrains de conflits, lorsque le mouvement s’arrête et que l’espérance s’abîme dans la précarité des camps de réfugiés ».

À noter, à l'église Saint-Joseph le 20 avril, une conférence sur l’accompagnement des migrants avec Régine Dupont (Pastorale des migrants du Diocèse d’Angers) et Laure Miquel (Fédération de l’Entraide Protestante).

Fraternités

14 au 22 avril 2018 (tous les jours de 14h à 19h)

Temple protestant (5 rue du Musée)

Église Saint-Joseph (2 rue Saint-Joseph)

Angers

Travaillant depuis 3 ans sur le thème du palimpseste, « cette superposition fragile, imparfaite » qui « semble donner vie à un nouveau langage », HLécot expose ce printemps et ce début d’été 2018 ses peintures dans 3 lieux évoquant son passé mais aussi reliés à sa « vie présente » : le cloître des Billettes à Paris, la Villa Bruno Coquatrix à Cabourg et l’église Saint-Pierre de Caen.

Comme le parchemin des palimpsestes, « la peinture à l’huile autorise ce temps long, plusieurs mois, plusieurs semaines. C’est une traversée. » Chaque toile a donc été peinte « comme le temps s’écoule : les événements s’accumulent, les couleurs investissent la toile. Puis d’autres encore. Recouvrir, cacher, d’autres aplats, plus ou moins faciles, fluides ou heurtés, invasifs ou discrets » … Avant de revenir sur le travail, « remonter le temps », « découvrir, gratter, écailler. Sans forcer jamais, en laissant faire la peinture. Là où elle tient, comme un souvenir mémorable, là où elle se dissout, se détache, un faux-semblant dont on se libère. Un travail de lucidité ». Lucidité « abrasive » mais qui « n’altère pas ce qui est intrinsèque », qui « révèle », « épure », est « œuvre de reconnaissance ».

Dans chacun des 3 lieux d’exposition, le vernissage s’accompagnera de lectures (Sylvie Germain aux Billettes, Christian Bourgois et Gérard Genette à Cabourg, témoignages recueillis par l’artiste à Caen) et de musique.

Reconnaissances

Cloître des Billettes, Paris, du 9 au 23 avril 2018

Villa Bruno Coquatrix, Cabourg, du 12 au 21 mai 2018

Église Saint-Pierre, Caen, juin et juillet 2018