Revue protestante de culture
La métaphore pastorale revisitée
La métaphore pastorale revisitée
Dans un contexte de réflexion des Églises sur l’évolution des ministères (Pour une Église de Témoins, synode national ÉPUdF 2022), soulevant notamment la question de l’autorité dans les communautés, l’équipe du Cahier biblique propose de soumettre à la réflexion la métaphore pastorale telle qu’elle est mobilisée dans les deux Testaments, mais aussi telle qu’elle a pu se déployer par la suite.

 

Le Cahier parcourt ainsi une vaste fresque : avec l’origine nomade des premiers patriarches en filigrane, et non sans un rappel de David comme archétype du berger devenu roi, il dessine un parcours des interpellations des prophètes (Ézéchiel 34) aux ministres avec lesquels Paul s’entretient dans ses lettres pastorales, en passant naturellement par la réappropriation par Jésus de la métaphore telle qu’elle est mise en exergue dans la littérature johannique, mais présente différemment dans les synoptiques. Il n’oublie pas que, du livre des Juges aux « veuves » chargées d’enseignement dans les premières communautés chrétiennes, l’autorité a pu être reconnue aussi (mais bientôt contestée) à des femmes. (...)

 

Le pasteur ne peut être un bon berger que dans la mesure où, dominant son troupeau du regard (cf. en grec epi, sur, et skopein, regarder, d’où le terme épiscopat), tout en assurant sa nourriture, il maintient l’ordre et l’harmonie, et veille à la sécurité. C’est en ce sens que la métaphore du berger a pu, au Proche-Orient ancien, symboliser une autorité royale légitime parce que bienfaisante, comme celle de David, par opposition aux mauvais rois qui malmènent leur peuple (André Wénin, Elena Di Pede). Quand la métaphore s’applique à Jésus, l’accent se déplace vers le troupeau en désarroi, les moutons, les « brebis perdues de la maison d’Israël » qui attendent un guide et un sauveur, et qu’à la fin de l’évangile johannique Pierre sera chargé de continuer à « paître » (Céline Rohmer).

 

Cette sémantique du berger permet alors d’étendre le regard au-delà de la métaphore pastorale, vers d’autres images qui combinent autorité et protection : ce sera la « mère en Israël » qu’est Déborah au livre des Juges, une femme capable de rendre la justice et de mener des guerres (Anne Létourneau) ; ou la paternité douloureuse de Paul, qui décrit son apostolat comme un accouchement de ses enfants, les membres des communautés qu’a suscitées son ministère (Mauro Belcastro).

 

Il est permis, à partir de là, de poursuivre la transhumance à laquelle invitent les bergers : ne sont-ils pas, chez Luc, à la fois les plus humbles et les premiers à adorer le Christ nouveau-né ? Dès lors, serait-il interdit aux enfants de s’identifier au berger plutôt qu’au mouton, désobéissant ou non (David Veldhuizen et Caron Vibert) ? On se rappelle aussi que des femmes qui adhérèrent à la foi de Paul, sous le nom de « veuves », semblent bien s’être elles aussi investies dans l’enseignement et la conduite des âmes, avant de se voir ramenées aux conventions sociales ordinaires, dès le second siècle de notre ère semble-t-il (Nicolas Cochand). Les ministres du culte eux-mêmes ne témoignent-ils pas, dès qu’ils livrent leurs doutes et leurs difficultés, qu’il leur arrive de se sentir autant brebis que bergers, confondus avec la communauté qu’ils desservent, sous la seule conduite du Maître (Natacha Cros-Ancey) ?

 

Nous concluerons, avec cette dernière, qu’être en Église, quelque ministère qu’on assume, cela reste toujours une manière d’être en débat, tant au sein de la communauté que lors des discussions synodales de l’institution ecclésiale elle-même.

 

(Extrait du Liminaire d'Inès Kirschleger et de Renée Koch-Piettre)