Revue protestante de culture
Chrétiens d'Orient : entre précarité et espérance
Chrétiens d'Orient : entre précarité et espérance
Depuis les crises irakienne et syrienne (et maintenant libanaise), les chrétiens d’Orient ont souvent été à la une de l’actualité. Cependant la vision transmise par les médias occidentaux reprend beaucoup de clichés en les imposant comme des évidences.

 

Ainsi, depuis le génocide arménien de 1915-1917, les chrétiens de cette région seraient les éternelles victimes de leurs persécuteurs musulmans. Par ailleurs, le protestantisme oriental reste souvent méconnu voire carrément ignoré. Or voici qu’un groupe de onze théologiens orientaux, se rattachant majoritairement au protestantisme, publie en octobre 2021 un document intitulé Nous choisissons la Vie. L’équipe de rédaction des Cahiers d’études missiologiques et interculturelles (CEMI) a voulu, pour son second numéro dans le cadre de Foi&Vie, donner la parole à quelques-uns d’entre eux. 

 

Nous choisissons la Vie tourne résolument le dos à une vision misérabiliste ou victimaire des chrétiens d’Orient. Il insiste sur le rapport que ceux-ci entretiennent avec leurs sociétés respectives et sur l’apport qui y est le leur. Disponible en anglais, en français et en arabe sur un site internet dédié, le document est présenté ici, dans ses axes principaux, par l’une de ses auteurs, Najla Kassab, pasteure du Synode arabe de Syrie-Liban et également présidente de la Communion mondiale d’Églises réformées (CMER). Il est commenté par Frédéric Rognon, professeur de philosophie à la Faculté de Théologie protestante de Strasbourg.

 

Parmi les champs d’action très divers dans lesquels les Églises et les chrétiens sont appelés à s’engager prophétiquement, deux émergent en particulier : le renforcement du rôle des femmes dans la société et dans l’Église d’une part ; l’éducation dans sa dimension d’éducation à la citoyenneté d’autre part. Nous avons interviewé celle qui est la première femme du Moyen-Orient à avoir accédé au ministère pastoral, Rola Sleiman, libanaise, en charge de la paroisse de Tripoli, au Nord du pays (la deuxième femme à être devenue pasteure est Najla Kassab mentionnée précédemment). Rima Nasrallah, troisième femme pasteure du Moyen-Orient en même temps qu’enseignante à la Near East School of Theology (NEST), la Faculté de Théologie protestante de Beyrouth, nous propose une étude sur l’évolution du rôle des femmes missionnaires de l’Action Chrétienne en Orient et sur l’effet que la vie et le témoignage de celles-ci ont pu avoir sur les femmes qu’elles étaient amenées à côtoyer.

 

Nos contacts avec les responsables des secteurs de l’enseignement dépendant des Églises protestantes n’ont malheureusement pu aboutir. Dans la situation de crise actuelle, ceux-ci ont estimé qu’ils n’étaient pas en mesure de dessiner des perspectives suffisamment précises. Nous nous sommes alors adressés à l’ancienne présidente de la Faculté de théologie de Beyrouth, Mary Mikhael, et au pasteur Hadi Ghantous, ancien enseignant de cette faculté, pour qu’ils nous apportent leur éclairage respectif. Leurs articles, complémentaires, portent pour l’un sur l’histoire de l’enseignement en contexte missionnaire, et pour l’autre sur les défis auxquels l’enseignement protestant est aujourd’hui confronté.

 

La plupart du temps, deux questions majeures se trouvent soulevées lorsqu’on évoque la situation des chrétiens au Moyen-Orient, des questions sur lesquelles nous ne voulions pas faire l’impasse. La première – qu’en est-il réellement de la persécution des chrétiens ? – a été l’occasion de recueillir le point de vue d’Adeeb Awaad, enseignant à la NEST de Beyrouth, mais aussi celui d’Andrea Zaki, président des Églises protestantes d’Égypte et responsable d’une importante ONG, le CEOSS (Coptic Evangelical Organization for Social Services), très active en Égypte sur les plans de l’éducation, de l’écologie, du développement, du peace-building ou encore de l’édition théologique. Il convient de replacer le point de vue reflété dans cet article dans un contexte global, celui d’une société égyptienne soumise à de fortes tensions. La population égyptienne augmente de près d’un million par an, alors que les ressources ne suivent pas. Les taux d’analphabétisme, de mortalité infantile, de grande pauvreté restent très élevés. L’importante minorité chrétienne est parfois désignée comme bouc émissaire et la place de l’islam est un débat national. Le point de vue de l’auteur – personnalité représentative du monde protestant égyptien et au-delà, impliquée dans la vie publique – peut donner lieu à débat. Il n’en demeure pas moins qu’il fait partie des différents aspects d’une réalité complexe et mérite d’être connu.

 

Par ailleurs, un livre récemment paru du pasteur luthérien de Bethléem Mitri Raheb prend résolument le contre-pied d’un discours binaire fréquemment tenu dans la sphère évangélique et opposant de manière simpliste chrétiens persécutés à musulmans persécuteurs. Nous en proposons une recension.

 

L’autre grande question est celle du dialogue islamo-chrétien qu’a accepté de traiter George Sabra, professeur de théologie systématique à la NEST. À partir de trois exemples concrets de dialogues, dont l’un d’initiative musulmane, il ouvre, à l’écart des stéréotypes, des pistes sur ce terrain particulièrement sensible où, dans un monde globalisé, il s’avère pourtant toujours plus essentiel de s’investir.

 

Enfin, un peuple, le premier dans l’histoire à s’être proclamé officiellement chrétien, occupe une position très particulière au Moyen-Orient : le peuple arménien. Dispersé à travers le monde entier à la suite d’une tentative d’éradication au début du 20e siècle, il est toujours bien présent en Syrie et au Liban. Paul Haidostian, président de l’Université Haigazian de Beyrouth où il enseigne également, a bien voulu nous donner un aperçu du protestantisme arménien libanais, un protestantisme soucieux de préserver son identité, tout en ne ménageant pas ses efforts en vue de l’édification d’une société meilleure.

 

Nous avons choisi de clore ce dossier par un témoignage, celui de l’actuel pasteur de la paroisse protestante francophone de Beyrouth, Brice Deymié. Une autre manière d’éclairer la multiplicité des contextes et des visages du protestantisme dans cette région du monde. (...)

 

(Extrait du Liminaire de Claire-Lise Lombard et Thomas Wild)