Revue protestante de culture
Place aux vieux !
Place aux vieux !
Il y a quelques mois, l’affaire ORPEA a à nouveau mis sur le devant de la scène la question du vieillissement de la société, des conséquences de la privatisation de l’accompagnement de nos aînés et de l’absence de volonté politique pour trouver les moyens de faire face à ce défi.

 

Mais comme dans bien des cas – le handicap, les femmes musulmanes, etc. –, les médias ont légitimement donné la parole aux familles, aux professionnels, aux élus ... mais peu aux premiers concernés : les âgé·e·s. Il est parlé sur. Les vieux (c’est eux qui préfèrent ce terme aux hypocrites et excessivement classifiants troisième, quatrième et cinquième âges) sont objets de soin, administration, profit … et pas assez sujets.

 

Dans ce dossier de Foi&Vie, cahier annuel du Christianisme social, ce sont surtout des personnes concernées qui parlent. Elles ont des choses à dire, elles sont organisées, ont des revendications, sont les premières expertes de ces problèmes. Comme dans le cas du mouvement des femmes récemment, n’est-il pas nécessaire que la parole des vieux se libère mais surtout soit écoutée ?

 

Alain Houziaux, pasteur à la retraite, nous partage des poèmes et nous raconte les contradictions face auxquelles il s’est trouvé en vieillissant, lui qui fut très actif et continue de penser avec toujours autant de vivacité, de provocation, d’exigence dans les concepts, de travail sur les limites. Être lassé ou se presser de vivre ? Le passé, poison ou madeleine ? La dignité ou l’humilité ? Mais aussi les contradictions face à la mort et à Dieu. Pour lui, « vieillir fait peur, beaucoup plus que mourir ». Nous lui sommes reconnaissants de nous faire toujours profiter de sa réflexion.

 

Isabelle Hartvig (qui se définit comme « une dame de 84 ans ») raconte elle aussi comment elle a réalisé d’un coup sa vieillesse, face au ventre rond d’une femme enceinte. Sa participation à un stage de Marie de Hennezel l’a convaincue que vieillir s’apprend. Cette démarche sur soi incite à réfléchir à ses priorités, trouver une nouvelle façon d’assumer ce qu’on est – y compris physiquement. Et au bout du compte « faire confiance à la vie, modestement, simplement ».

 

Jean-Louis Massot, aumônier coordinateur de la Fondation Diaconesses de Reuilly, nourrit sa réflexion des rencontres avec et des propos des personnes rencontrées et accompagnées, à l’hôpital quand elles ont des problèmes de santé ou dans les maisons de retraite pour des femmes et des hommes de moins en moins autonomes. Il dit combien vieillir est un chemin d’acceptation d’une vie qui se réduit et que le choix d’une solution – rester chez soi, accueil de jour, Ehpad … – est un cheminement personnel pour trouver ce qui permet de rester en contact avec la vie.

 

Philippe Wender raconte qu’il a eu bien du mal à se dire : « Je suis vieux ». Entré en Ehpad, il s’est engagé dans l’association Citoyennage dont il est président. Cette association représente les résidents vis à vis des directions comme des pouvoirs publics et porte leurs revendications, en particulier pour davantage de citoyenneté. Son texte montre qu’il y a une parole forte des personnes concernées qui est une expertise indispensable à écouter. Comment décider, gérer, faire évoluer l’accompagnement des plus âgés sans leur parole ? Et il y a urgence.

 

Maryse Bellucci, directrice d’un établissement sanitaire et social et formatrice, souligne que les moins de 30 ans et les plus de 80 ans sont les deux tranches d’âge qui s’abstiennent le plus. Pourtant, son enquête rend visible leur désir de participer aux votes. Les dernières législatives ont vu des records dans l’abstention, alors que cette partie-là de la population ne demande qu’à voter. Quels sont les freins et enjeux très concrets pour les directions d’Ehpad ? Maryse Bellucci donne des exemples très concrets de ce qui peut être fait, comme par exemple d’installer des bureaux de vote dans les Ehpad. Si on ne donne pas assez la parole aux vieux, c’est qu’il existe un âgisme qu’il faut dénoncer, comme il y a du sexisme et du racisme. Cet âgisme fait taire les plus jeunes et les plus vieux. Les deux catégories qui s’abstiennent le plus et ce n’est pas sans lien.

 

Il faut ainsi changer à la fois les représentations et les structures de pouvoir dans les dispositifs d’accueil, dans les politiques publiques et le financement du quatrième âge qui ne peut venir que de la source la plus juste et la plus solidaire (et qui doit l’être rendue encore davantage) : l’impôt. Dans ce numéro, nous relayons les propositions faites par les directeurs des structures sanitaires et sociales lors de la présidentielle.

 

Les institutions, ce sont aussi les Églises. Depuis le temps qu’il est dit qu’elles vieillissent, ne devraient-elles pas toutes être mortes ? Cette boutade souligne l’impensé de cette question dans l’Église sur un autre mode que celui de la déploration. Pour ce numéro et pour la convention du Forum protestant, nous avons contacté plusieurs dirigeants ou anciens dirigeants d’Église. Aucun n’a accepté de donner son avis : rien à en dire, trop déprimant, pas dynamique … Édith Tartar-Goddet, psychosociologue et personnalité engagée de l’ÉPUdF, prend la question au sérieux. Elle part de ses dialogues dans des paroisses pour regarder ce problème en face. Se plaindre du vieillissement et du manque de renouvellement mais avoir du mal à faire de la place aux nouveaux et aux nouveautés ? Le syndrome de glissement que connaissent les personnes s’applique-t-il aussi aux institutions ?

 

Les âgé·e·s sont nécessaires au bon équilibre de la société et ils y manquent aujourd’hui. Ils manquent d’abord parce que chaque âgé·e est une personne unique et que chaque personne est indispensable à la diversité des visions et des rapports au monde. Ensuite parce que le grand âge nous oblige à nous poser des questions essentielles sur la fragilité, la vitesse, la lenteur, la mémoire, la valeur de chacune et chacun … Toutes questions qui, si elles étaient en permanence et de manière vivante présentes dans nos champs d’expérience, remettraient en cause cette société de puissance, de performance, de quantité qui nous mène dans le mur écologique, social, démocratique.

 

Place aux vieux !

 

(Liminaire de Philippe Wender et Stéphane Lavignotte)