Revue protestante de culture
Face à la crise écologique
Face à la crise écologique
Après un demi-siècle durant lequel de rares lanceurs d’alerte, relayés peu à peu par un nombre grandissant de scientifiques puis de militants, ne rencontraient qu’indifférence ou mépris de la part des politiques et des opinions publiques occidentales, la problématique écologique gagne du terrain dans les discours politiques, dans les médias, dans nos sociétés. Les Églises chrétiennes, avec des nuances significatives, ont globalement suivi ce mouvement.

 

Où en sont-elles près de 40 ans après le lancement par le COE du processus Justice, paix et sauvegarde de la création (JPSC) ? C’est la question de ce numéro spécial de Foi & Vie, alors qu’après d’autres, l’Église protestante unie de France est engagée dans un processus synodal autour de la question Écologie, quelle(s) conversion(s) ?

 

Patrice Rolin introduit ce numéro par un rapide panorama historique de la lente prise en compte des problématiques écologiques par les Églises chrétiennes, en particulier dans le protestantisme réformé français.

 

Michel Rodes se livre à une analyse critique de la façon dont la crise écologique a – ou n’a pas – été prise en compte par les travaux préparatoires aux niveaux national et local. Il y pointe la quasi absence de thématiques théologiques comme la chute originelle ou la finitude humaine qui sont pourtant centrales pour une compréhension théologique de la crise écologique dans laquelle nous sommes. Il rappelle enfin la résistance constante de certaines tendances théologiques du protestantisme français à s’engager dans des questions politiques ou économiques.

 

Jean-Sébastien Ingrand raconte comment, étudiant en théologie «au temps de JPSC», puis pasteur, et depuis peu chargé de mission pour la justice climatique de l’UÉPAL (Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine), il a vécu la progression difficile d’une prise de conscience écologique au sein du protestantisme français. Il expose enfin comment il fonde bibliquement et théologiquement son engagement écologique. Si, comme citoyens et comme chrétiens, nous pouvons nous engager dans le débat public et politique sur les questions environnementales, on ne peut ignorer que ces questions sont le lieu de conflits d’intérêts et de rapports de force qui font souvent peu de cas de l’intérêt général.

 

Bernard Brillet nous montre comment, malgré une volonté affichée et un dispositif institutionnel et législatif conséquents, les décisions politiques en matière environnementale sont dépendantes de pressions des lobbys économiques et corporatistes court-circuitant le plus souvent le processus démocratique et la mobilisation citoyenne.

 

Roger-Michel Bory et Vincent Wahl relisent les affirmations catastrophistes et les mises en garde des collapsologues à la lumière des discours des prophètes bibliques. Après un bref rappel de la situation écologique et des menaces qui pèsent sur l’humanité, les auteurs retracent le long processus d’appropriation de la pensée écologique par les Églises protestantes. L’essentiel de leur contribution se poursuit en ouvrant des pistes d’engagements théologiques, économiques et politiques pour les Églises.

 

Bernard Piettre explore l’histoire et les ambivalences des idées de progrès et de croissance. Il examine comment, depuis le 19e siècle, le progrès technologique et la croissance économique sont devenus le mantra de l’économie dominante sur fond d’illusion d’une croissance sans fin. Il propose enfin une définition du progrès comme « accroissement du bonheur commun de l’humanité ».

 

Sous le titre Jacques Ellul et la conservation du monde, Jean-Philippe Qadri nous offre un impressionnant et utile essai dans lequel il introduit et met à disposition du lecteur les nombreuses déclarations et prises de position – trop souvent ignorées – de Jacques Ellul sur l’écologie. Avec méthode, il dévoile l’articulation profonde entre œuvre de conservation et responsabilité du chrétien : conserver le monde n’est pas purement défensif, mais conquête, au nom même de l’Évangile. Mine de citations et de références, cette contribution permet aussi de découvrir et comprendre comment Jacques Ellul s’est éveillé « au sentiment de la nature », en particulier au contact de Bernard Charbonneau. Et cela, dès leurs écrits communs de 1935 : Directives pour un manifeste personnaliste.

 

Enfin, revisitant à nouveau la pensée de Jacques Ellul dans les diverses crises que nous traversons, Elisabetta Ribet réaffirme la différence entre espoir et espérance, celle-ci s’enracinant dans la déréliction des situations de détresse. Comme un envoi, comme l’ouverture d’un chantier de réflexion et d’engagement, l’auteure pose la question vitale : quelle espérance, face à la crise des temps post-modernes ?

 

Le lecteur trouvera en fin de ce numéro deux articles de varia (une relecture de l’œuvre du poète Jean-Paul de Dadelsen par Evelyne Frank et un aperçu de l’éducation que l’on donnait aux filles dans la haute société protestante du Midi il y a un siècle et demi, par Jean de Saint Blanquat) ainsi que plusieurs recensions d’ouvrages. Nous espérons que ces approches diverses contribueront à la réflexion des lecteurs et de tous ceux qui, au sein des Églises et ailleurs, ont à cœur d’articuler écologie et théologie.

 

(Liminaire de Michel Rodes et Patrice Rolin)