Michel Leplay : « La religion se porte mieux »
(…) Michel Leplay aura traversé les décennies de sa longue carrière avec un élan – un souffle – de spiritualité, constructive et en construction, dont l’envergure est reconnue même en dehors des contours du monde protestant. (…) Ainsi, dans un article du journal La Croix, Michel Kubler a salué de manière chaleureuse et éloquente son personnage de « pasteur et passeur ». Michel Leplay est de ces hommes qui, aux yeux des catholiques, font non seulement l’honneur, mais la grandeur du protestantisme. On connaît ainsi un illustre jésuite à qui ce pasteur réformé, longtemps journaliste mais aussi intellectuel de haut vol, a révélé qu’il était possible, tout en restant fidèle à Rome, de recevoir beaucoup de la Réforme. (…)
Son influence et sa présence se sont révélées marquantes à l’intérieur d’autres Églises et dans d’autres sphères de la foi, car Michel Leplay a notamment fait partie du groupe des Dombes au sein duquel il a poursuivi une méditation et une recherche approfondies pour une compréhension partagée, sinon commune, entre Catholiques et Protestants, des termes et des pratiques de la foi ; il y a aussi réfléchi sur le sens même et les structures de l’échange œcuménique. Quand il parle spontanément de cette époque, sans doute la qualité de l’amitié unissant les membres du groupe constitue-t-elle le premier souvenir qui vient à ses lèvres, mais les écrits contenus dans ce numéro de notre revue établiront la solidité et la souplesse d’une pensée sans concession exercée dans ce cadre, et capable de s’enrichir du contact entretenu avec les esprits les plus affutés de son temps, en matière de théologie et de spiritualité.
Cette capacité à s’intéresser avec une curiosité toujours vive à toutes les formes d’intelligence structurantes, en matière artistique, doctrinale ou sociologique lui a permis de fonder solidement son œuvre d’édification dans l’Église, soit en tant que responsable de la gestion du Conseil régional de l’ERF en région parisienne, soit lors de sa participation aux plus hauts Conseils du protestantisme (ceux de l’Église Réformée de France et de la Fédération Protestante de France, ainsi que du Comité mixte catholique-protestant), soit, autrement, dans son activité de direction du journal Réforme, avec les compétences et la puissance de synthèse qu’elle requiert dans tous les domaines concernant les hommes et la foi. Quand il raconte sa propre histoire, Michel Leplay étonne par les facultés qu’il a su déployer de sorte à irriguer son action non seulement par les effets et les acquis de son expérience, mais aussi par son sentiment personnel de la foi. Et ses entreprises sont d’importance : il travaille à la formation des pasteurs, après 1968 ; il couvre et organise en équipe le fonctionnement de quatre-vingts paroisses d’Île de France en temps de crise des vocations pastorales ...
Il structure, et il se structure lui-même tout en découvrant certains courants de la foi. (…) Dans son analyse de la théologie de Michel Leplay, Bernard Rordorf relève notamment ce caractère fondamental d’une pensée « en dialogue ». Peut-être est-ce l’effet d’une longévité de la réflexion que de manifester ainsi le chatoiement et les nuances d’une culture capable de s’harmoniser de tous les contacts humains, en les convertissant dans une foi personnelle et sensible, dynamique comme celle de Barth, référence revendiquée, mais aussi raisonneuse et parfois très légèrement provocatrice (comme le montre l’exercice intitulé Ce que je ne crois pas, dans ce fascicule), une foi active et responsable devant Dieu.
Les documents apportés par Michel Leplay pour constituer ce numéro révèlent tous son goût subtil pour les mots, et son art d’écrire. Car au contact de Péguy, dont il est un admirateur et un spécialiste – Pauline Bruley et Marie-Clotilde Hubert nous rappellent cette affinité profonde et la constellation de ses articles de réflexion sur le sujet –, et à l’école de toutes ses autres lectures, il s’est forgé un style. Dans son article sur Michel Leplay écrivain, Olivier Millet met au jour certains de ses ressorts, mais il dégage surtout l’esprit de cette « politesse élégante de la manière d’écrire », qui, comme Calvin l’a fait, respecte son lecteur et lui apprend à penser. (…)
Et puis il y a la poésie, pratiquée quotidiennement, pour capter le moindre événement, comme dans une nouvelle forme raffinée de journalisme, sans mesure, mais avec le rythme des ballades ; il s’agit de dompter ainsi le format des mots, pour entendre avec plaisir l’à-propos de leurs petits sabots marchant accouplés dans les rimes. Les croquis du jour, mais aussi les impressions de l’amitié, de la nostalgie ou du deuil, tout cela filtre dans les textes poétiques de Michel Leplay, nonobstant le fait que, le plus souvent, dans cette activité sans prétention il s’amuse comme un gamin.
Car la fantaisie constitue un autre aspect essentiel de sa personnalité. Un de ses familiers, Olivier Rumpf, dessine avec brio sa vive silhouette en marche dans les vallées vaudoises et rapporte des échos de ses réparties joyeuses parmi les vaches. Agnès Adeline, une autre de ses proches, commente aussi, d’un point de vue pastoral, la portée de certains de ses textes facétieux. Les farces dissimulées dans ce numéro sont des signes et des exemples plutôt irrésistibles de son humour. Bien sûr, elles sont au service de l’expression de sa foi. C’est vrai : elles sont l’amen de la foi de Michel Leplay. Mais tout simplement, dans leur forme un peu désinvolte, elles sont drôles, comme un pasteur léger et rieur qui connaît Barth, Claudel, Péguy et Bernanos. (…)
(Extrait du Liminaire de Jacqueline Assaël)
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