« Recevoir les Romains »
En cette période commémorative du geste initié il y a 500 ans par Martin Luther, l’épître aux Romains fait figure de symbole. En effet, cet initiateur de la Réformation a trouvé dans ce texte une réponse déterminante à sa quête angoissée, autour de la formule de la justification par la foi.
Il y a 50 ans, la lettre paulinienne était aussi suffisamment perçue comme représentative de différences entre les diverses confessions chrétiennes pour servir de « test » à ce qui allait devenir la Traduction œcuménique de la Bible. Dans ce Cahier biblique consacré à Romains, notre clin d’œil aux célébrations de la Réforme, nous vous proposons quelques perspectives sur l’épître, plutôt axées sur la façon dont la lettre a été reçue dans différents contextes.
Dans le premier article, Alain Gignac revient sur les champs d’investigations les plus récents de la lettre, en soulignant la pluralité des lectures possibles : « Il n’y a pas qu’une porte d’entrée dans la lettre aux Romains ». L’apôtre, en effet, n’aborde pas que la thématique de la justification par la foi. Il développe aussi ce qu’est la justice de Dieu, les conséquences de Jésus confessé comme Messie pour l’élection d’Israël, ainsi que les implications éthiques et communautaires de la justification. La notion d’accueil mutuel entre Juifs et Grecs constitue une finale à ne pas négliger.
Nous l’avons évoqué, Luther se saisit du texte paulinien avec ses questions. Marc Vial nous présente « Luther lecteur de l’épître aux Romains » : en 1515-1516, le futur Réformateur, alors professeur de théologie à l’Université de Wittenberg, a consacré un cours à la lettre, qu’il considérera ensuite comme l’expression par excellence de l’Évangile. Cette contribution développe plusieurs des intuitions fondamentales de Luther sur l’épître, en analysant plusieurs extraits des scolies.
Le bouleversement du salut par la foi sur lequel Luther insiste suscite nécessairement une réflexion sur le statut de la loi. S’agit-il d’« un problème apocalyptique et éthique ? » Par l’étude de Rm 7,7-8,2, Léa Dupont-Worms explore la rhétorique paulinienne, construite afin de conduire le croyant à s’identifier au narrateur. Dans cette péricope, l’apôtre propose un itinéraire à l’homme ou à la femme confessant le Christ. Destination ? Le règne de l’Esprit, critère d’unité dans les communautés, mais aussi pour le corps du croyant.
Mais la lettre aux Romains est lue aussi dans des contextes moins théologiques, et parfois même par des penseurs non-chrétiens. Deux articles s’intéressent à ces réceptions plus larges de Paul. Valérie Nicolet, dans « L’instant ‘Paul’ chez les philosophes » revient aux liens de la lettre et de l’apôtre avec les philosophes. Elle évoque d’abord les résonances des idées de l’apôtre avec les penseurs de l’Antiquité. Elle parcourt ensuite les questions avec lesquelles Breton, Badiou, Agamben et Žižek prennent Romains à partie, et en particulier la loi, la temporalité et le politique.
David Veldhuizen, dans sa contribution « L’épître aux Romains, alliée insoupçonnée des féministes » pose la question suivante : peut-on analyser la lettre dans des perspectives de lutte pour l’égalité ? L’article prend l’exemple des lectures féministes de Romains pour mettre en lumière comment ces chapitres, d’apparence si discrets sur le sujet des relations femmes/hommes, se révèlent des terrains précieux pour des démarches inclusives et émancipatrices.
Dans deux ouvertures par Yara Matta et Anna Van den Kerchove, les influences et effets de Romains sont mis en avant. En aval de Romains, Yara Matta revient sur les résonances de textes juifs sur la pensée de Paul, en particulier sur Rm 5, 12-21. En amont, Anna Van den Kerchove offre quelques exemples de la façon dont les premiers penseurs de l’Église ont reçu l’épître. Finalement, outil précieux, Chantal Reynier met à disposition des lecteurs du Cahier une bibliographie commentée, essentiellement francophone, pour approfondir la lecture de Romains. Ce parcours invite à revenir à l’épître, à la découvrir à frais nouveaux, à l’entendre dans ses résonances parfois étonnantes, et à accepter d’être déplacé par les mots de l’apôtre, y compris sur d’autres thèmes que ceux d’il y a 500 ans.
(Liminaire de Valérie Nicolet et David Veldhuizen)
À écouter : une présentation du numéro par Valérie Nicolet sur Fréquence Protestante.
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