Le livre de Jérémie : crise et résistances
Des livres prophétiques de la Bible, celui qui porte le nom de Jérémie est probablement l’un de ceux qui – au-delà des difficultés objectives – est le plus familier pour le lecteur contemporain, ne fût-ce que parce que ce prophète se cache derrière un mot bien connu : jérémiades. Contrairement aux idées reçues, le personnage du prophète élaboré par ce livre biblique est loin de se plaindre sans cesse.
Au contraire, s’il montre parfois des signes de découragement face à la mission qui est la sienne, il affronte le temps particulier dans lequel il vit avec force et décision, témoignant d’un attachement sans faille à la Parole – souvent très dure – qu’il doit proclamer au peuple pour qu’il vive.
En effet, le temps de Jérémie – quelques années avant l’exil à Babylone – est profondément marqué par la crise et le changement d’époque : le peuple a abandonné l’alliance, il s’est tourné vers les idoles jusqu’à leur sacrifier l’avenir même de la société, leurs fils et leurs filles (voir 32,35) et a réduit le Dieu de l’alliance à une idole, à un baal (31,32) ; la menace babylonienne se fait de plus en plus pressante, et il semble ne plus y avoir aucune issue pour ce peuple dont le « raté » est gravé dans le cœur au stylet de fer et à la pointe de diamant (17,1). Pourtant, le prophète ne se laisse pas arrêter par cette situation et il met sa propre vie en jeu afin de s’opposer au chemin entrepris par ses contemporains. Loin de les enfoncer dans la crise qu’ils traversent, Jérémie affirme dans un premier temps qu’il y a moyen d’en sortir, mais pour cela, ses destinataires doivent se montrer prêts à des changements radicaux de comportement, essentiellement dans la manière de concevoir le rapport à l’autre (et à l’Autre), ce qui aura évidemment des répercussions sur le plan social et religieux. Pour éviter la catastrophe, le peuple doit renouer avec l’alliance, mais aussi avec la mission confiée à Abram : amener la bénédiction aux peuples de la terre (Gn 12,3, voir Jr 29,7). Dures, les paroles du prophète qui menacent de la catastrophe n’ont d’autre but que de déclencher un sursaut et une prise de conscience, pour éviter que la catastrophe tant redoutée ne se réalise. Car la crise est résistible et la mission prophétique a pour but de rappeler au peuple sa responsabilité, tout en l’amenant à rétablir et à faire la justice en son sein – condition indispensable du shalôm.
Loin d’entendre et d’écouter la parole d’Adonaï proclamée par le prophète, le peuple s’entête dans ses comportements délétères. Ceux-ci apparaissent à la fois – en tout cas dans la relecture qu’en fait Jérémie – comme le symptôme et comme le résultat d’une attitude qui a créé la crise de toute pièce. Dès lors, la catastrophe de l’exil devient inévitable, bien que l’espoir de la restauration reste l’horizon d’un peuple qui, ayant tout perdu, retrouverait cette capacité d’écoute indispensable de la parole de cet Autre qui l’appelle à la vie. Cette parole, qui est présentée comme étant à la fois celle d’Adonaï et du prophète, s’inscrit dans un livre qui raconte ses vicissitudes, en lien avec celles des personnages principaux du drame. Ainsi, le livre, à l’instar de certains personnages, comme le prophète lui-même ou Baruch, devient témoin. Il est témoin de cette parole, certes. Il est aussi témoin du fait que, une fois la catastrophe consommée, celle-ci a été analysée et racontée pour montrer comment elle est le fruit d’une crise que ses principales victimes – le peuple en particulier – ont créée de toute pièce par leurs comportements porteurs de mort et leur refus d’écouter la parole prophétique. Après coup, le livre affirme d’une certaine manière que le peuple a créé la crise et qu’il s’y est de lui-même enfermé, soumis comme à une idole. Mais le livre affirme aussi que le peuple avait en main tous les éléments pour démonter le mécanisme de cette crise et, dès lors, pour pouvoir s’en sortir, en se convertissant. Si le peuple a refusé cela, le lecteur du livre est à son tour appelé à écouter cette parole prophétique et à la laisser résonner et « raisonner » en lui. Il en deviendra ainsi à son tour témoin et lui permettra de porter ses fruits de vie et d’espoir.
(Extrait du Liminaire d'Elena Di Pede et Guy Balestier)
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