Les miracles : faut-il encore y croire ?
Le thème des miracles, des apparitions et des interventions divines, est l’un de ceux qui révèlent avec la plus grande acuité les paradoxes de notre condition post-moderne.
Il y a bien longtemps que nous ne croyons plus au surnaturel, et que les lumières de la raison instrumentale ont chassé de notre horizon les derniers vestiges de l’obscurantisme et de la crédulité. Tout s’explique par la science, et ce qui reste encore inexpliqué aujourd’hui n’est pas pour autant inexplicable, mais simplement en attente de nouveaux progrès de la recherche. Et cependant, parallèlement à ce mouvement de « désenchantement du monde », nos contemporains manifestent un engouement inédit pour l’irrationnel, pour l’occultisme, pour le « spirituel » à défaut du « religieux », et pour tout ce qui échappe à l’intelligence critique. Les théories sociologiques de la sécularisation, en vogue dans les années soixante et soixante-dix, sont aujourd’hui totalement battues en brèche, tandis que celles du « choix et de l’agir rationnels » commencent à être sérieusement discutées. On parle moins d’une « sortie de la religion » que de « mutations du croire contemporain ». (...) Rationaliste et en même temps croyant, sceptique et simultanément crédule : l’homme post-moderne est travaillé, de l’intérieur et du fait de son environnement (notamment médiatique), par de profonds mouvements contradictoires, ou pour le moins paradoxaux.
Les miracles ont toujours prospéré dans des périodes de crise : crises politiques et économiques, mais surtout crises morales et spirituelles. (...) Tout se passe comme si les mutations actuelles, les bouleversements à l’œuvre et à venir, la crise des valeurs et l’ébranlement des cadres de références, nous plaçaient dans une situation on ne peut plus paradoxale : à la fois méfiants envers les représentations religieuses classiques, et foncièrement réceptifs aux interventions surnaturelles les plus inédites. L’état de crise structurelle, d’incertitude endémique, dans lequel nous sommes entrés provoque une sorte d’hypersensibilité à tous les « signes » porteurs de mystère et d’étonnement, dans un climat général de scepticisme quant aux « miracles » qui ne seraient pas ceux de la médecine, de la science et de la technique les plus performantes. Alors, croire ou ne pas croire aux miracles ? En réalité, croire et ne pas croire … Telle est la posture de nos contemporains en régime post-moderne.
Penser le miracle aujourd’hui, du point de vue d’une théologie protestante soucieuse de dialogue avec la culture ambiante, c’est honorer en quelque sorte l’invitation de Dietrich Bonhoeffer à récuser toute idée de Dieu « bouche trou » : à partir du constat selon lequel le monde devenu majeur avait appris à venir à bout de toutes les questions importantes sans faire appel à « l’hypothèse Dieu », le théologien allemand exhortait les chrétiens à chercher et à reconnaître la présence de Dieu non plus seulement aux limites de nos possibilités, qui reculent sans cesse du fait des progrès scientifiques et techniques, mais au cœur même de notre vie. Les aspirations de nos contemporains se trouveront ainsi à la fois reçues et déplacées, prises au sérieux et néanmoins subverties. Si les miracles sont de nos jours en même temps discrédités et réhabilités, refoulés avec la religion traditionnelle et omniprésents dans une spiritualité diffuse, il est de la responsabilité du théologien de reprendre à nouveaux frais les interrogations afférentes au phénomène du miracle ainsi qu’aux postures qui consistent à y croire ou à ne pas y croire. Qu’est-ce donc qu’un miracle ? Qu’en dit la Bible ? Comment les Pères de l’Église le concevaient-ils ? Quels regards la philosophie porte-t-elle sur lui ? Doit-on, peut-on, est-il raisonnable, avantageux ou judicieux d’y croire ? Quelles approches du miracle la théologie systématique et la théologie pratique peuvent-elles proposer ? Comment dire le Miracle et les miracles, en tension l’un avec les autres, et comment en parler dans un langage audible pour les hommes et les femmes de ce début du XXIe siècle ? Telles sont quelques-unes des questions que ce numéro de Foi&Vie se propose d’aborder, sur un mode résolument interdisciplinaire.
(Extrait de « Faut-il encore croire aux miracles ? » de Frédéric Rognon)
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