Revue protestante de culture
La place de l'enfant dans la société d'aujourd'hui
La place de l'enfant dans la société d'aujourd'hui
(...) Pour de plus en plus d'Occidentaux, aujourd'hui, le sacré est devenu tacite ; en tout cas, ils répugnent à le reconnaître dans des doctrines ou une confession de foi, dans une structure d'Église, et même dans un discours qui se présenterait trop ouvertement comme religieux. Mais souvent ce sacré trouve à s'exprimer précisément dans une certaine idéalisation sinon de l'enfant lui-même, du moins de l'enfance.

 

Cette réalité se laisse entrevoir, comme en filigrane, surtout dans les articles de Daniel Marcelli, sur la difficulté et en même temps la nécessité pour des parents de dire « non » à leur petit enfant, ou de Nicole Deheuvels, sur la place de l'enfant dans les familles d'aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de saisir les motivations du désir d'enfant. Mais il serait heureux qu'un ou plusieurs articles d'un prochain numéro se consacre à ce phénomène.

 

Sans s'être concertés, trois de nos auteurs et autrices mettent en évidence le lien fort existant entre l'enfant et l'image. Geneviève Djenati interroge en clinicienne le type d'images que notre société présente à ses enfants et l'impact que cela peut avoir sur ces derniers. Le constat est d'autant plus inquiétant qu'il ne résulte pas de préjugés mais de la prise en compte de la physiologie et de la psychologie enfantines. Nous voici invités, comme parents, grands-parents, éducateurs ... , à accompagner l'enfant dans sa vision des images animées, à ne pas le laisser seul et à le protéger contre le danger de la fascination stérilisante de l'écran lumineux et coloré. Et il y a lieu aussi d'être vigilant et de sélectionner parmi les programmes jeunesse ce qui est regardable, en fonction de l'âge, des capacités et des besoins de chaque enfant. Certaines productions pour la jeunesse ne sont en effet pas adaptées non aux capacités affectives du jeune enfant mais tout simplement à ses capacités visuelles et cognitives : avec sa rétine et son cerveau il ne peut décrypter correctement leurs images. Nelly Chabrol Gagne nous rappelle aussi que c'est aider un enfant à acquérir une autonomie affective et intellectuelle que de lui offrir très jeune la possibilité, à travers des albums dont la diversité et la qualité n'ont jamais été aussi grandes, de grandir et de devenir, à terme, un lecteur averti, attentif et... rêveur! (...)

 

Mais il y a également des dessins animés qui rendent meilleur. Jean-Pierre Sternberger présente une vision d'exégète du Prince d'Égypte, sorti voilà presque dix ans sur les écrans mais disponible en VHS et DVD. (...) Lorsqu'il est confié aux eaux du Nil, Moïse risque d'être avalé par un crocodile; mais l'attention de celui-ci est détournée par l'attaque d'un hippopotame, et le couffin poursuit sa course... Il n'y a bien sûr là pas seulement le souci de rendre plus concret, et plus visuel, ce qui n'est pas l'objet d'un développement dans la Bible. Car l'entrée en scène de ces deux animaux renvoie évidemment à Léviathan et à Béhémot, les deux forces primordiales dont l'action peut se compenser et servir la Providence, et le plan divin de salut pour l'humanité. On l'aura compris : il faut en fait voir Le Prince d'Égypte comme un targum d'aujourd'hui et pour notre temps. S'il prend des libertés avec le texte biblique, qu'il n'hésite pas à gloser mais aussi à relire et à adapter à l'aune de nos préoccupations et de nos questionnements présents. (...)

 

Daniel Marcelli nous incite à redécouvrir la vertu de l' « autorité », un terme trop souvent décrié depuis trois décennies mais qui, bien compris et bien appliqué, est indispensable au développement de l'enfant. Car, fait remarquer le psychiatre, le« non» n'est bénéfique que lorsqu'il n'est pas systématique mais motivé par un réel danger, une vraie impossibilité. L'autorité, insiste-t-il, autorise avant d'interdire, et, puisqu'elle est de la même famille qu'augmenter, elle fait grandir. C'est là son but, sa raison d'être, son devoir et, redisons le mot, sa vertu. L'enfant-tyran est malheureux. Ne disait-on pas jadis d'un enfant qu'il était « gâté » - comme un fruit dont on ne profiterait pas et qui pourrirait ?

 

La présentation de la place de l'enfant dans les familles par Nicole Deheuvels entre tout à fait en résonance avec cet indispensable rappel. La mise en garde contre ce que la demande d'enfant peut comporter de désir narcissique complète bien l'analyse de Daniel Marcelli. En même temps, la pasteure se place aussi, à l'instar de Jean-Pierre Sternberger, sur le plan de la transmission de la foi.

 

C'est ainsi que les articles si différents de ce numéro paraissent se répondre et se compléter, et qu'ils nous fournissent des pistes pour tenter de vivre un devoir qui peut sembler de moins en moins évident: l'accompagnement des enfants sur une route qu'ils termineront seuls, à terme, et qui les mènera de l'enfance à l'âge adulte.

 

(Extraits du Liminaire de Thierry Wanegffelen)