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Revue protestante de culture
Du nouveau pour l'an nouveau
Du nouveau pour l'an nouveau

À l'entrée de 1924 - à l'heure où le terrain de 1923 cède sous nos pas et s'effondre au passé - une préoccupation nous prend, et nous tient, et nous mord le cœur : l'obsession de ce qui est stable et permanent, de ce qui demeure, et aussi la hantise, la passion du nouveau, du pas encore vu et du pas encore fait : car nous sentons bien que le passé est bien passé, étant ce qui a fait son temps, ce qui n'est plus de notre temps, et à plus forte raison de demain, qui n'est digne ni de survivre, ni de revivre, ne se justifiant que par l'occasion - «l'occasion fait Ie larron», mais ne fait pas son droit à dérober te temps.

 

Et nous sentons qu'il en sera ainsi jusqu'au jour où un principe de vie nouvelle, d'une vie qui porte en elle, parce qu'elle est bonne, sa raison d'être, puissance de renouvellement, s'implantera enfin au tréfond de notre âme : l'amour, gui eat plus fort que Ia mort, et qui seul demeure.

 

Or l'amour qui prend la forme de serviteur, c'est aujourd'hui, plus qu'hier encore, une nouveauté. «Votre serviteur» : il n'y a plus que les petits bourgeois ou les quémandeurs pour prendre ce titre, et d'ailleurs ce n'est qu'un mot. - Il y a bien encore les Services publics, les administrations ; mais par la raison même qu'on travaille pour le public et non pour soi même, elles passent pour travailler dans une singulière torpeur. Il y a les Ministres - ministre en latin signifie serviteur, mais s'il est parfois des ministres qui sont les serviteurs du pays, la chasse aux portefeuilles qui se mène, très âpre, dans les couloirs du Parlement - une vraie chasse à courre - semble avoir en vue la proie plutôt que le sacrifice. Aujourd'hui l'opinion courante professe que dans le dévouement - plus qu'en toute autre vertu - il ne faut pas exagérer, et l'on sourit devant ceux qu'on qualifie de poires, sans doute parce qu'ils servent à Ia soif des autres.

 

Au banquet de la vie que chantalent autrefois les poètes lyriques, se presse et se bouscule, prosaïque, Ia cohue des gens,non pas qui servent, mais qui se servent. C'est à qui râflera, comme on dit, le bon morceau, qul mettra la main sur l'assiette au beurre, qui se taillera la plus grosse tranche du gâteau, qui accaparera lc plus de galette.

 

On dit, dans le langage ecclésiastique, Service divin, pour le culte que célèbrent les ministres de l'Évangile : quand tous les chrétiens, disons beaucoup de chrétiens, célèbreront en pleine société le Service divin qu'est la vie d'amour - l'acte continu de servir Dieu dans les hommes - alors, ii y aura du nouveau dans le monde : à vrai dire le monde sera nouveau ... et, le temps étant révolu, pourra s'ouvrir 1'éternité.

 

(Extrait de la Méditation laïque)