Revue protestante de culture

Bible

De la Genèse à l'Apocalypse, entre Première et Nouvelle Alliance, la lettre et l'esprit, l'équipe des Cahiers bibliques de Foi&Vie fera vivre la réflexion sur le livre des livres et son étude entre chaque parution annuelle.

 

Pieter Bruegel l’ancien et le Dénombrement ou l’Évangile comme Parole de liberté

Avril 2019
Le dénombrement à Bethléem (Volkstelling te Bethlehem), Pieter Bruegel l'ancien, Musées Royaux des Beaux-Arts (Bruxelles)

Je me suis arrêté sur ce tableau de Pieter Bruegel l’ancien (1525-1569) parce qu‘il est le seul à avoir représenté ce temps de l’histoire du Christ où Joseph et Marie vont se faire recenser à Bethléem. Le Dénombrement, c’est ainsi qu’il s’appelle, est peint en 1566. Cette date est importante car les Pays-Bas sont toujours sous domination espagnole. Guillaume d’Orange, le gouverneur général du pays, ne commencera la guerre d’indépendance qu’en 1568. Situation donc tendue par une pression fiscale sur le peuple que Bruegel va chercher à comparer avec la situation des Juifs de Palestine alors occupée par les Romains de César Auguste et regroupée en une province, puissante et forte, désormais appelée Syrie (Luc 2, 1 à 7 : seule occurrence de l’histoire). Le dénombrement de la population, ou recensement, était alors un moyen de contrôle pour mieux contrôler les taxes. L’histoire, pour Bruegel, à l’instar de l’Ecclésiaste, n’est que recommencement. Le Christ naît tous les jours et meurt tous les jours.

 

Ainsi, en position de lecteur que nous sommes de ce tableau, nous lisons qu’un soir arrive avec son soleil couchant sur un petit village typique, peut-être celui où est né Bruegel. Soir annonçant un matin nouveau. Un soleil nouveau. C’est ainsi l’espérance évangélique du peintre de montrer que ce que nous pensons improbable dans notre quotidien, peut devenir probable (Edgard Morin) : Joseph avec une scie sur l’épaule et Marie sur un âne, accompagnés d’un bœuf, arrivent dans leur village d’origine, incognito. Le temps a fait son œuvre mais Dieu, Lui, reste fidèle en accomplissant sa promesse pour l’humanité. La roue, posée sur la neige, est au centre du tableau, telle la gardienne du temps du vieux monde qui ne cesse de toujours recommencer. En effet, dans cette vie de chaque jour que l’artiste peint avec précision (les enfants jouent sur la glace et avec la neige, les menuisiers construisent une maison, les villageois transportent leurs commerces de toutes sortes, les aubergistes tuent le cochon, et aussi et toujours, les collecteurs d’impôts recueillent les taxes impériales, asservissant toujours plus les villageois sous occupation), un événement improbable va naître que les humains ne peuvent encore voir. La tradition chrétienne rapporte, en effet, que ce sont l’âne et le bœuf qui, les premiers, ont reconnu Jésus comme le Christ en posant leur souffle réchauffant sur Lui.

 

En effet le soir arrive et avec lui la nuit symbole de ténèbres, là où, désormais, il n’y a plus de lumière. La violence des hommes est partout, semble nous raconter Bruegel. Violence à l’image de cet arbre trônant au premier plan du tableau, sans feuille et sans fruit alors que le messie arrive. Il est à l’image de ces gens d’armes, cachés derrière les remorques et les maisons, prêts à massacrer les innocents par décret impérial, manifestant ainsi « vanité et poursuite du vent » des humains. Remarquons, encore, en haut à droite du village, les ruines du château, symbole des haines et violences humaines qui excluent ceux qui ne sont pas de leur monde et de leur côté.

 

Il n’y a plus rien qui tienne debout aujourd’hui, montre Pieter Bruegel. Les hommes ce sont autodétruits et tout cela va disparaître dans cette nuit qui arrive.

 

Mais, de façon inespérée voire inattendue, en haut à gauche du village, en symétrie de la ruine, une église est là, dressée et éclairée par le soleil couchant comme la marque d’une résistance à l’innommable. Église comme le lieu où Dieu, en Jésus-Christ, ne cesse de convoquer son peuple pour dire sa présence avec nous. L’espérance est donc là, proclame le peintre . Aucun pouvoir humain ne peut entamer la joie de vivre et le quotidien des hommes et femmes de ce monde parce que nous avons accueilli, dans nos cœurs, la Parole qui rend libre chacun. La lumière, alors peut disparaître, mais demain, elle se lèvera, nouvelle, avec son lot de surprises. Ainsi la maison du lépreux, au centre du village, avec une croix sur le faîte du toit et un « espagnol » volant dans son potager. Alors, oui, la domination du plus fort est toujours là, mais celui qui était exclu est désormais, à nouveau, accueilli au sein de la communauté. Notre foi, semble dire Bruegel, a fait de nous des humains. La vôtre semble vous autoriser à violer l’humanité.

 

Il y a comme une fracture dans la roue du temps qui ne cesse de recommencer son cycle infernal, précise le peintre. Le temps ne recommence plus comme avant, il change en venant transformer notre vie ; il change en venant construire plus justement la vie. C’est à l’Espérance évangélique que le lecteur de Luc semble nous exhorter. Espérance qui s’inscrit dans notre vie quotidienne et qui trouve sa source dans notre réponse à celui qui ne cesse de nous convoquer pour nous redire la vie désormais possible : Demain, oui, le soleil se lèvera et le manteau de froidure laissera la place au vert pâturage et à l’eau paisible du ruisseau.

 

Pierre-Emmanuel Guibal

 

 

Jean 20, 28 : ne pas voir pour croire

Avril 2018
L'incrédulité de Thomas (Ter Brugghen)

Jean, dans les chapitres 20-21 nous avertit plusieurs fois du caractère illusoire de cet aphorisme.

 

En Jean 20, 6-8, la découverte du tombeau vide par Simon Pierre et par l’autre disciple se termine par « il vit et il crut » ? Or qu’a-t-il vu ? RIEN, quelques bandelettes et un linceul. En outre,  en grec il existe plusieurs verbes pour dire voir et ils ne sont pas tout à fait interchangeables : ils ont des nuances différentes.


Ici, nous avons un verbe (theoreô) qui a donné le mot théâtre en français et qui est le terme utilisé pour indiquer une vision oculaire, lorsqu’il s’agit de bandelettes. Dans le second emploi  (« il vit et il crut ») le verbe n’est plus le même, il s’agit soit de oraô soit de eidô qui pourraient se traduire par voir/connaître (« avec les yeux du cœur » pour reprendre l’expression du Petit Prince). Donc, c’est parce qu’il n’y a rien à voir avec les yeux, aucune preuve tangible, que l’autre disciple peut croire.

 

En Jean 20, 14-17, c’est Marie-Madeleine qui « voit » Jésus (le verbe employé est theoreô) et ne le reconnaît pas. Ce n’est pas par la vision et encore moins par le toucher (Jésus lui dit « Ne me touche pas ») qu’elle le reconnaît mais bien par la Parole, parce que Jésus l’appelle par son nom.

 

Dans notre texte Jean 20, 28 : Jésus accède à la demande de Thomas et, comme nous l’avons vu, légitime le doute et même l’invite à passer du statut de sans foi/confiance à celui de avec foi/confiance et Thomas ne touche pas mais fait une des plus belles confessions de foi : « MON Seigneur et MON Dieu ». Là encore, ce n’est pas par la preuve tangible mais par le doute en vérité que la foi émerge.


Je conclurai en disant que l’adage « il faut voir pour croire » ne convient ni au récit de la Résurrection ni à l’épisode de Thomas car dans les 3 passages où il est question de voir, toucher, donc de preuves tangibles, ce n’est ni le voir, ni le toucher qui fait émerger la foi mais le rien, le vide ou la parole.

 

Christiane Nani

 

 

 

La date de naissance de Satan

Février 2018

Une question simple, posée un jour, a déclenché une réflexion qui aboutit ici : pourquoi Satan est-il moins présent dans l’Ancien Testament (A.T.)  que dans le Nouveau (N.T.) alors que l’A.T. est beaucoup plus ample, plus large ?

 

En prenant une concordance (index alphabétique qui contient tous les mots de la Bible et l’endroit où chacun se trouve), nous voyons de manière évidente que le mot Satan et tous les termes synonymes sont plus nombreux dans le N.T. que dans l’A.T. : Satan : A.T. 27 et N.T. 36 ; Diable : A.T. 1 et N.T. 41.

 

Satan apparaît dans 12 livres du N.T. sur 27 et Diable dans 13 de ses livres dont 6 livres contiennent les deux.

 

De quoi est porteur le mot sâtân ?

 

Dans l’A.T., en hébreu, le terme sâtân signifie adversaire et cela peut désigner tout être qui s’oppose à un autre ; quand il est utilisé dans le contexte d’un tribunal, il peut être traduit par accusateur : ainsi quelques mentions de l’A.T. ne désignent pas le personnage qui est porteur du mal par excellence, Satan, mais un adversaire humain qui peut être l’ange de Dieu (Nb 22, 22 à 32), David (1S 29, 4), quelqu’un suscité par Dieu contre Salomon (1R 11, 14 à 23) ou demandé à Dieu pour être à droite de son ennemi (Ps 109, 6).

 

La figure de Satan, personnalisée comme accusateur céleste et personnifiant les forces du mal, apparaît seulement dans des textes tardifs.

 

Trois fois dans le livre de Zacharie écrit à partir de décembre 518 avant notre ère (1).

 

Nous le trouvons dix fois dans les chapitres 1 et 2 du livre de Job, daté de la période post-exilique c'est-à-dire à partir de 538.

 

Une fois dans les livres des Chroniques d’une époque qui suit la reconstruction du temple (515) jusqu’à la période hellénistique qui débute en 333.

 

Il est donc vraisemblable que le personnage de Satan fait son apparition au cours de l’histoire qui a donné naissance à l’A.T. et apparamment tardivement ; c’est pourquoi il est bien plus présent dans le N.T que dans l’A.T.

 

Hypothèse

 

À partir de ces éléments et de ceux qui suivent, j’émets l’hypothèse que la date de naissance de Satan serait le 6 Éloul 501 avant notre ère (Éloul : 6e mois de l’année ecclésiastique juive).

 

Indications des textes

 

Nous avons un élément qui nous permet de savoir vers quelle époque son apparition a lieu : c’est le parallèle entre 2 Samuel 24 et 1 Chroniques 21. Les livres de Samuel relatent l’épopée de l’époque royale depuis le prophète Samuel à qui est demandé un roi dont le premier sera Saül puis David ; ils se poursuivent par les livres des Rois qui commencent par la royauté de Salomon et se poursuivent par les royautés du nord et du sud pour finir, après la prise du royaume du nord par Sénachérib, par les royautés du sud jusqu’à l’exil à Babylone. Les livres des Chroniques contiennent un deuxième exposé de l’histoire de l’époque royale, parallèle et différent de celui des livres de Samuel et Rois, depuis la mort de Saül jusqu’à l’exil à Babylone : ils suivent donc le récit de 2 Samuel, 1 et 2 Rois.

 

Le début des chapitres 24 de 2 Samuel et 21 de 1 Chroniques racontent donc un même événement avec une différence essentielle : le personnage principal qui déclenche l’action est en 2 Samuel 24 le SEIGNEUR (Yhwh dans le texte) et en 1 Chroniques 21 Satan. Ainsi un même événement est provoqué par le Dieu de l’A.T. d’un côté et par Satan de l’autre.

 

2 Samuel 24 : La colère du SEIGNEUR s’enflamma encore contre les Israélites, et il excita David contre eux en disant : « Va, dénombre Israël et Juda. » Le roi dit à Joab, chef de l’armée, qui était avec lui : « Parcours toutes les tribus d’Israël de Dan à Béer-Shéva et recensez le peuple, que j’en sache le nombre. » Joab dit au roi : « Que le SEIGNEUR, ton Dieu, accroisse le peuple au centuple, et que mon seigneur le roi le voie de ses propres yeux ! Mais pourquoi mon seigneur le roi veut-il une chose pareille ? »

 

1 Chroniques 21 : Satan se dressa contre Israël et il incita David à dénombrer Israël. 2 David dit à Joab et aux chefs du peuple : « Allez, comptez Israël depuis Béer-Shéva jusqu’à Dan, puis faites-moi un rapport pour que j’en connaisse le nombre. » 3 Joab dit alors : « Que le SEIGNEUR accroisse son peuple au centuple ! Ne sont-ils pas eux tous, mon seigneur le roi, des serviteurs pour mon seigneur ? Pourquoi mon seigneur fait-il cette recherche ? Pourquoi Israël serait-il coupable ? »

 

La crise de la sagesse

 

Pourquoi les personnes qui rédigent 1 Chroniques, qui est écrit après les livres de Samuel et des Rois, ont-elles remplacé le SEIGNEUR par Satan ? L’hypothèse est que jusqu’à cette période, cela ne posait pas de problème que Dieu soit à l’origine de tout et donc, de la même façon, qu’il puisse être acteur du bien et du mal. Nous en avons des exemples dans le texte biblique.

 

Ainsi en 1 Samuel 15-16 le roi Saül est rejeté par Dieu parce qu’il est considéré comme pécheur et David est alors oint roi sur Israël sans toutefois exercer cette royauté. En 1 Samuel 16, 14-17 les conséquences de tout cela sont concrétisées dans des actions de Dieu : le souffle du Seigneur s’éloigne de Saül, ce qui peut être compréhensible et il est remplacé par un souffle mauvais venant aussi du Seigneur ; les deux fois le terme hébreu pour le souffle est roûah et c’est le tétragramme (Yhwh) qui est traduit pas SEIGNEUR. Les serviteurs de Saül s’aperçoivent que ce mauvais souffle vient de Dieu (Élohim) et lui proposent de trouver un musicien qui le soulage par sa musique : ce musicien sera David. Au chapitre 18, dans un épisode où Saül essaie de tuer David, au verset 10, un mauvais souffle de Dieu s’empare de Saül qui essaie par deux fois de clouer David au mur de sa lance, ce que David esquive ; la prise de conscience de Saül, qui lui fait peur, est que le Seigneur était avec David et qu’il s’était éloigné de lui. C’est Dieu qui est à l’origine de l’action de Saül pour tuer David et lui aussi qui aide David à se dérober.

 

Il n’est donc pas étonnant que ce soit Yhwh, qui en 2 Samuel 24, sous le coup de la colère, incite David à dénombrer Israël, action qui est considérée comme un péché ainsi que David le reconnaît au verset 10. Le Seigneur propose alors à David le choix de la punition : soit sept années de famine, soit trois mois de fuite devant des adversaires, soit trois jours de peste. Préférant tomber aux mains du Seigneur qu’aux mains des hommes, et peut-être parce que c’est plus court, David choisit les 3 jours de peste.

 

Il n’en est pas de même au moment de la rédaction des livres des Chroniques où il semble qu’il ne soit plus possible d’attribuer à Dieu le fait d’être à l’origine du mal. C’est ce qui est appelé Crise de la sagesse et qui désigne la prise de conscience que si des personnes, qui font le mal continuent à prospérer, c’est qu’un autre pouvoir que celui de Dieu les soutient, les protège. Une autre figure apparaît alors qui est celle de Satan parce que ce terme est déjà utilisé dans l’A.T. pour désigner l’adversaire ou l’accusateur. Il est clair que l’adversaire est l’opposant par excellence. À partir de ce moment Satan, l’Adversaire est né et il prendra toujours plus de place car c’est une figure bien pratique qui consacre Dieu toujours dans le rôle de celui qui agit pour le bien. Dans le Talmud (Torah orale comprenant commentaires et discussions pour comprendre la Bible Hébraïque) et le Midrash (commentaire rabbinique de la Bible hébraïque), le rôle de Satan est nettement amplifié comme dans le N.T.

 

Sens de l’hypothèse

 

Il est bien sûr impossible de savoir exactement quand Satan est né et en proposant cette date j’ai voulu jouer avec les chiffres car le 6e jour d’Éloul, 6e mois ecclésiastique de l’année 501 (5+1 =6) donne une succession de trois 6, le chiffre 666 qui rappelle le chiffre de la bête d’Apocalypse 13, 18, bête à laquelle le Dragon, qui n’est autre que Satan (Apo 12, 9), a donné tout son pouvoir.

 

Guy Balestier-Stengel

 

(1) Rolf Rendtorff, Introduction à l’Ancien Testament, éditions du Cerf, 1989, p.401. Toutes les indications de date sont avant notre ère.