Revue protestante de culture

Jean Bosc

Jean Bosc (1910-1969) est, comme Maury et Westphal, l'un des secrétaires généraux de la "Fédé" (de 1935 à 1940) et comme eux deux l'un des "passeurs" de la théologie de Karl Barth au public français (il est l'un des traducteur du recueil "Le culte raisonnable" dès 1934). Actif au sein de l'École pratique de service social liée à Foi&Vie, il est aussi pasteur à Meaux à partir de 1945 et cofondateur de Réforme avec Albert Finet la même année. En 1946, il fonde avec Ellul les Associations professionnelles protestantes (dont les Cahiers, Les Deux Cités, viendront rapidement se fondre dans Foi&Vie) puis enseigne la théologie systématique à la Faculté de théologie protestante de Paris à partir de 1950. Trois ans avant que Charles Westphal lui confie la direction de Foi&Vie (à laquelle il se consacrera jusqu'à sa mort), il fonde en 1954 avec André de Robert le centre de Villemétrie.

 

Jean Bosc par Jacques Ellul



"(...) Si l'on veut bien conserver en lisant ces pages le souvenir qu'elles lui sont dédiées, on verra dans leur discrétion envers lui comme un reflet de lui, de cette pudeur, de ce détachement pour tout ce qui le concemait, de cette discrétion merveilleuse qui faisait qu'il ne s'imposait jamais, ne cherchait jamais à conquérir et à posséder. Mais sa présence changeait tout.

Nous n'avons, aucun de nous, cherché à dire qui il était, et qui pourrait le dire, sinon Celui qui l'a connu parfaitement et qui était devenu le Tout de sa vie ?

Qui pourrait même dire quel est le poids de sa pensée, et, bien plus, quelle était sa présence ?

Tout au plus pouvons-nous tenter de cerner ce qui est au cœur de cette pensée, et de renvoyer à ce qu'il a voulu; tout au plus pouvons nous le désigner, non pas en tant que personne modèle et prise en elle-même, ce qu'il n'eut jamais toléré, mais le désigner comme étant lui-même le désignant de Celui à qui il rapportait tout. (...) Car il a su faire de sa vie une unité de pratique et de pensée ordonnée par la foi; sa vie, sous tous ses aspects, semble une expression directe de sa foi : c'est en cela qu'il nous est exemplaire.

Cette correspondance comportait un jeu constant, qu'il ne menait pas volontairement, entre l'amour et la pensée, "pratiquant la vérité dans la charité". Il exprimait l'amour par l'intermédiaire de sa pensée, jamais livrée à elle-même, toujours serve de sa fin. Et sa pensée ne trouvait son équilibre, sa justesse et sa paix que dans la relation à sa foi. Il pouvait alors être le ferme dogmaticien que nous avons connu, intransigeant et inébranlable, cependant que cette même dogmatique, non système intellectuel mais sans fin reprise d'un jeu de l'amour et de la foi, restait toujours ouverte, à l'écoute des autres et de la Parole, toujours nouvelle, et de ce fait, critique. Et d'abord critique de soi. Il avait su faire, mieux que tout autre, de la théologie systématique, un instrument, une humble servante, éclairant sans contraindre, ordonnant sans figer, délimitant sans enfermer, ce qui pourrait expliquer l'apparente difficulté qu'il avait à formaliser par écrit sa pensée, à l'enserrer dans des formules définitives, à l'exprimer hors d'une relation personnelle.

Pensée tout orientée vers la glorification du Seigneur, ce qui la rend indéfinie, impossible à clore et à systématiser : pensée qui ne trouve son équilibre que dans ce déséquilibre infligé par la présence du Seigneur, et son sens que dans l'absence de sens qui éclate quand elle renvoie à Lui. Pensée du Témoin qui de ce fait reste boîteuse comme Israël, mais porteuse par là même de l'interrogation de la présence de Dieu. (...)"

("Liminaire", Foi&Vie, 1971/2-3-4)

 

"J'ai donc été amené selon le vœu de Jean Bosc à recevoir la direction de cette revue, dans ces circonstances douloureuses. Je ne puis redire après tant d'autres ce que Jean Bosc a été pour nous, ce que humainement nous pouvions en connaître, et nous ne saurions parler de la part la plus vraie, la plus profonde de lui-même, qui était, qui est toujours, en Dieu, et qui le faisait ce qu'il était en vérité. Les lecteurs de Foi et Vie savent quelle était sa rectitude pensée, sa fermeté théologique en même temps que son ouverture à toutes les recherches et son écoute de toutes les questions. Il était d'autant plus présent et ouvert, d'autant
plus accueillant que sa doctrine était plus stricte. Il confirmait là une réalité spirituelle que ce sont ceux qui ont la plus grande rigueur théologique qui peuvent avoir en même temps la plus grande souplesse humaine et le moindre jugement sur les autres.

Le dernier message qu'il m'ait donné, quelques semaines avant la fin (qu'il savait être, je l'affirme sans aucun romantisme, son commencement) et que je livre aux lecteurs de Foi et Vie, a été : "L'Eglise et la Société actuelles ont besoin avant tout de la proclamation de l'Amour et de la Liberté". Je voudrais que Foi et Vie soit la revue de cette proclamation. Je demande d'avance pardon aux lecteurs si je ne sais pas continuer l'œuvre entreprise et l'orienter comme il le faudrait."

("Liminaire", Jacques Ellul, Foi&Vie, 1969/4)