Revue protestante de culture

Charles Westphal

Charles Westphal (1896-1972) fut directeur de Foi&Vie de 1945 à 1957. Avant cela, pasteur en poste à Châtillon en Diois, Pentemont (Paris) et Grenoble, il avait aussi été, comme Pierre Maury avant lui, secrétaire général de la "Fédé" (Fédération française des étudiants chrétiens). En même temps que Foi&Vie, Charles Westphal est pasteur à la paroisse du Saint-Esprit (Paris) et vice-président de la Fédération protestante de France à partir de 1947. Ces fonctions, en plus de son engagement dans le mouvement œcuménique mondial (il est membre du Comité central du Conseil œcuménique des Églises à partir de 1956), l'obligent à confier Foi&Vie à Jean Bosc en 1957. Il est président de la FPF après la mort de Marc Boegner en 1961, et jusqu'en 1970. 


Militant, avec Pierre Maury, de la théologie de Karl Barth (il fait publier la première traduction française d'un de ses textes dès 1932 dans Le Semeur, la revue de la "Fédé"), c'est un ardent défenseur de l'œcuménisme dont Foi&Vie suivra les progrès avec enthousiasme au rythme des premières assemblées d'Amsterdam (1948), de Lund (1950), d'Evanston (1954) et de New Delhi (1961).

 

Charles Westphal par Roger Mehl

"(...) Il ne servirait à rien de dire que Charles Westphal fut un grand prédicateur qui a honoré le protestantisme français et qui a une audience au delà des frontières de son pays et de sa confession. Car une telle affirmation, pour vraie qu'elle soit, ne touche pas à l'essentiel. Ce qu'il faut d'abord dire, c'est que la prédication de l'Évangile, de l'Ancien et du Nouveau Testament, fut pour lui à la fois une nécessité intérieure, et une joie. Oh, bien sûr, une joie qui n'allait pas sans souffrance. Comment dire l'indicible ? Comment le dire dans la vérité ?  Et puis il y avait une autre souffrance : la conscience de tout ce qu'il y a de dérisoire dans nos vies, et surtout cette lâcheté, à laquelle presque chaque prédication de Charles Westphal fait allusion. Mesurant l'immense difficulté de la tâche, la détresse d'une prédication qui doit dire la puissance de Dieu à travers l'impuissance du prédicateur, il aimait à rappeler : Qui est suffisant pour ces choses. Et pourtant rien n'a terni sa joie de prêcher l'Evangile. C'est pourquoi il a été (...) l'un des hommes qui nous ont permis de conserver, par delà toutes les tristesses, la joie d'appartenir à l'Église de Jésus-Christ, au peuple sans frontières, comme il le disait souvent. (...)

 

Il n'y a sans doute pas de meilleure illustration de la théologie de Karl Barth que la prédication de Charles Westphal. Rigoureusement christocentrique, elle est constamment trinitaire. Si elle ne l'était pas, elle cesserait d'être une prédication, car il n'y aurait pas du tout d'événement à annoncer. Il n'y aurait que des réflexions profondes, sagaces et utiles. Mais en réalité, il y a un événement à annoncer : Dieu nous a rejoints en Christ et il demeure avec nous par le Saint-Esprit. (...) Ce qui frappait dans la prédication de Charles Westphal, c'est qu'elle était un acte d'adoration. C'est pourquoi, il aimait à y citer ses poètes préférés, car eux au moins ont conservé le sens de l'adoration. (...) Dans son culte d'adieu à la paroisse du Saint-Esprit (23 juin 1968), consacré aux trois paraboles de Luc 15/1-10, Charles Westphal redit "le véritable amour est toujours miraculeux et surprenant". Il est significatif que dans cette prédication, qui marquait la fin de son ministère paroissial, et qui comporte à peine une allusion personnelle, tout se concentre sur ce qui est digne d'adoration et d'émerveillement, "l'imprévisible miracle de miséricorde". Est-ce par orgueil, par sens démocratique et égalitaire, est-ce par volonté d'être des hommes parvenus à l'âge adulte ? nous ne savons plus adorer, et parce que nous ne savons plus adorer nous vidons nos cultes de leur substance ... et nous détruisons l'Église . (...)


Charles Westphal a su prêcher la grâce parmi nous. Comme il le rappelle dans sa prédication du 11 mars 1962, la grâce précède la loi et c'est là la bonne nouvelle qui rend possible la prédication chrétienne et la rend différente de tout discours même religieux, même édifiant. Au milieu de tant de voix savantes, instructives, prophétiques même l'Église n'aurait rien à dire, s'il ne lui avait d'abord été donné d'annoncer que tout est grâce. Aussi est-ce bien la grâce qui est toujours, même matériellement, au centre des prédications de Charles Westphal. Bien sûr, la tristesse du péché, l'hypocrisie de nos vies, le mensonge corrupteur de toutes les relations humaines, la dérision de nos conflits sont-ils évoqués, mais jamais ils ne constituent autre chose qu'une simple évocation. La grâce n'a pas besoin pour briller de l'éclat à la fois incertain et réel de Jésus-Christ, de noircir l'homme. Charles Westphal n'a jamais cédé dans sa prédication à ce qui a été parfois une mode réputée barthienne : abaisser l'homme pour grandir Dieu. Comme si la gloire de Dieu manifestée en Jésus-Christ avait besoin de tels artifices !

 

Il n'y a pas d'humilité véritable qui ne trouve sa source dans l'adoration. C'est le mystère de la grâce, c'est le mystère de Jésus-Christ "cette miraculeuse proximité de l'Éternel", qui nous rendent humbles et c'est seulement alors que, comme le disait Kierkegaard (et Charles Westphal fut un lecteur attentif de Kierkegaard) notre faiblesse et notre vanité se découvrent à nous. Elles se découvrent à nous au moment même où elles sont englouties par l'œuvre de la grâce. Nous ne connaissons notre péché qu'au moment où nous en sommes délivrés, nous ne nous reconnaissons pécheurs qu'au moment où nous sommes pardonnés et où déjà l'espérance ouvre nos cœurs (...) Certes, Charles Westphal connaissait toutes les raisons de désespérer. Comment aurait-il pu les ignorer ? le secrétaire général de la "Fédé", le pasteur de paroisse avait salué dans son ministère multiple tant de promesses de renouveau qui avaient été déçues. Il avait assisté avec reconnaissance à ce renouveau théologique que fut le barthisme, mais avait assez vécu pour voir le barthisme contesté, la théologie prendre des voies inattendues, se muer en critique destructive. Non, rien n'est jamais définitivement acquis. Ancien combattant de la guerre de 14-18, il avait espéré en la paix, et avait vécu douloureusement la tragédie du nazisme triomphant, les déceptions de l'après-guerre, la renaissance de l'antisémitisme, le drame d'Israël auquel il était particulièrement sensible. Il avait mis un grand espoir dans le mouvement œcuménique. La conférence de Foi et Constitution à Lund (1950), à laquelle il avait activement participé, lui était apparue comme un grand tournant, mais ce grand tournant n'a pas débouché, il faut bien le reconnaître, sur des progrès substantiels, le piétinement a repris. Mais toutes ces déceptions, parfois brièvement et âprement évoquées dans sa prédication, n'ont pas réussi à ternir l'espérance de Charles Westphal. "Rien n'est perdu quand nous pouvons encore crier vers le Seigneur", car le don du Seigneur est irrévocable. Il y aura toujours de nouveaux matins. (...)

 

Au sein du Conseil national de l'Église Réformée de France, au sein du Conseil de la Fédération protestante de France et finalement comme Président de cette Fédération, Charles Westphal n'a pas cessé d'exhorter l'Église à prendre courageusement ses responsabilités politiques et sociales, surtout lorsqu'il s'agissait de causes qui n'étaient pas populaires (qu'on pense au problème de la torture pendant la guerre d'Algérie). Mais, et cela se sent bien dans sa prédication, aucune des interventions politiques de Charles Westphal (il y en eut de passionnées dans telle assemblée ou dans tel synode) n'était dépourvue de ce correctif : l'organisation n'est pas tout, la politique est chose relative. Les vrais problèmes se situent d'abord sur un autre plan, qui est celui de l'amour. (...)

 

Il aimait la littérature et la poésie. Il exprimait un jour le regret de n'avoir pas été professeur de littérature. Mais il avait choisi une fois pour toutes d'être pasteur et il savait la joie tremblante du ministère pastoral. II savait combien il était difficile de préserver cette joie. Il comptait sur l'appui de ses frères, de toute l'Église, de l'Église sans frontière dans laquelle il vivait déjà. Au lendemain de la mort de Pierre Maury, il me confiait : "Je n'ai pas toujours été d'accord avec lui, mais jamais je ne l'ai rencontré sans qu'il me rende la joie de mon ministère". (...)"

 

("Charles Westphal, prédicateur de l'Évangile", Roger Mehl, Foi&Vie 1975/1)